L’Assimilande
de Paul Laurendeau
Une
courte nouvelle de Paul Laurendeau, ‘’Doctrine florale’’ récemment mise
en ligne (1) m’avait beaucoup amusé par le sujet et le ton à l’humour décapant.
J’en avais aussi savouré dans un tout autre registre ’’Aude &
Corinne’’ il y a quelques mois.(2) Et
bien sûr, j’avais toujours en mémoire la vivacité de nos échanges sur Jack
Kerouac.(3)
Aussi,
la publication de ‘’l’Assimilande’’ fut-elle pour moi synonyme de
rendez-vous incontournable, de lecture à ne surtout pas manquer.
Ce court
roman de linguistico-économico-politico-science-fiction – a pour sujet une
invention géniale en ces temps de mondialisation, le glottophore. Implanté sur
un individu, cette minuscule merveille de bio-électronique – encore à l’état
de prototype, mais au marché planétaire -, confère à son porteur le don
d’assimiler une langue quelconque à une vitesse vertigineuse, effet amplifié,
s’il en était besoin, par l’acquisition d’une part du vécu culturel de
ses interlocuteurs, « Car tout mot véhicule des hypothèses tacites
enfouies dans l’histoire de la langue et dans les expériences qui ont
conditionnés ceux qui la parlent. »(4)
Cet être nouveau devient l’assimilande. A courir l’aventure, il y a
bien quelques risques physique, mais n’y a-t-il pas plus grave avec le risque
sociétal de ‘’détournement à visée satanique’’ de cette invention révolutionnaire
au profit d’une communauté linguistique au détriment d’une autre pour une
assimilation accélérée et définitive ?
Kimberley
Parker, étudiante – doctorante en français sous la tutelle affectueuse du
professeur émérite de linguistique française Odile Cartier de l’université
Lancastre de Toronto – accepte de devenir la première assimilande,
l’approche analytique et ethnolinguistique de sa propre progression en français
devenant le sujet de sa thèse.
Les
trente premières pages de l’Assimilande m’ont … surpris. J’en ai trouvé
au premier abord le style convenu, alourdi par les redondances, les descriptions
attendues voire simplistes dans le vocabulaire et le phrasé et, pis, parsemées
çà et là de termes propres au langage ésotérique du cercle des linguistes
d’un effet quelque peu pédant. Restait pour le plaisir de lire de savoureux
québécismes. Je me sentais tellement loin du ressenti de mes autres lectures
de l’auteur que le doute m’est venu : avec son humour corrosif et son
sens du pastiche, n’avait-il pas tenté là quelque chose… Ce ne pouvait être
que cela. L’effet décalé en serait alors saisissant ! Il conviendrait
si bien à cette introduction afin de marquer l’écart entre un parler français
de base et la langue française, montrer le long et difficile chemin qui restait
à parcourir par l’héroïne… dans des conditions normales d’apprentissage
de la langue française(5)
Puis,
tout soudain, la porte romanesque s’ouvre sur Mélissa Dassou, doctorante elle
aussi, colocataire de Kimberley. Elle entre dans l’intrigue comme une mini
tornade. Originaire de Pondichéry, ancienne enclave française en Inde, elle
parle six langues dont un français parfait. Et soudain tout change. L’écriture
change, elle s’assouplit, elle devient fluide. Il paraît encore de ci de là
quelques termes de linguistes, - mais n’est-ce pas logique ? – et
quelques indispensables québécismes. Toujours est-il, le dialogue entre les
deux jeunes femmes s’anime, coule, bien, vite, puis, la progression de
Kimberley s’accélérant encore, la langue ‘’s’argotise’’ devient
une langue parlée, la langue française de tous les jours du plus grand nombre.
Décor
planté, l’auteur nous convie alors à pénétrer dans le vif de la facette
philosophico-politico-économique du sujet par la métaphore Nobel développée
par Mélissa. La discussion sur l’exploitation d’une découverte dans le
sens du Bien ou du Mal fait alors le fond de l’ouvrage. ( Vient ici
immanquablement à l’esprit le cas d’Einstein, de la radioactivité et de la
bombe atomique… J’abrège ! ) L’intrigue se poursuit, galope…
Arrive
alors, pur régal (!) l’épisode crucial du Congrès des Sociétés
Savantes de Montréal au cours duquel Kimberley doit faire une communication sur
les premières conclusions de son étude. Le sens de la parodie et l’esprit
critique de l’auteur s’en donnent à cœur joie. Il y a du vécu là dedans !
Le rendu de ces interventions rend tout le savoureux de l’accent québécois
face ‘’aux’’ français universitaire ou politique car déborde dans les
extraits d’interviews, pardon, d’entrevus, des dirigeants du pays les plus
en vue…
Le
‘’français de France’’ que je suis s’est régalé de la musique de ce
français de la Belle Province et a aussi beaucoup appris sur les mœurs
politiques canadiennes et les problèmes rencontrés
au quotidien par les habitants d’un pays au bilinguisme officiel... (6)
‘’L’Assimilande’’
est une aventure linguistique à tenter absolument.
Paul
Laurendeau est professeur de linguistique au Département d’Etudes françaises
de l’université York de Toronto. Docteur ès-Lettres de l’université Denis
Diderot de Paris, il est l’auteur d’une cinquantaine de publications en
linguistique et en philosophie du langage. Plusieurs de ses nouvelles ont paru
dans la revue Virages.
‘’L’Assimilande’’
est publié aux éditions Jets d’encre adresse net ISBN
978-2-35485-012-8
(1)
publiée en ligne sur
(2)
publiée en ligne sur
(3)
publiés en ligne sur
(4)
Frank Herbert in ‘’Destination vide’’ Ed Robert Laffont
ISBN 2-221-00654-2
(5)
confirmation apportée par
l’auteur lors d’échanges d’électroplis fin novembre 2007
(6)
(J’ai eu là
une pensée pour nos voisins belges qui sont actuellement dans une belle m…
pardon, impasse ! ).