Chine & Occident
''les Jardins de Pierre II'' 2004 JLMi
Notes manuscrites complétées par recherches bibliographique et iconographique
***
A
propos de quelques paradoxes...
Aux
XVIIème et XVIIIème siècles, que sont allés chercher les occidentaux en Extrême-Orient ?
Au XIXème
siècle, que sont venus chercher les orientaux en Occident ?
La
quête de chacun est une évasion vers un idéal.
Pour l’Occident des Lumières, l’Orient idéalisé est synonyme de calme, de fusion avec la Nature, de globalité. Toutes choses très éloignées de notre habitude culturelle de découpage de choses et des problèmes, découpages qui deviennent de plus en plus fins avec l’accroissement des connaissances scientifiques. Ainsi, par exemple, nous distinguons entre douleur et souffrance, c’est-à-dire entre matière et esprit, ce qui est incompréhensible en Asie.
Mais aussi au plan politique, perception d’une image de société bien huilée à cette époque où l’Occident commence à se fissurer. Le régime impérial, et son organisation, qui admet la critique du souverain par tout un chacun selon des règles strictes est perçu très différent du despotisme des souverains européens.
Toutefois,
avec les premiers succès de la révolution industrielle, les vastes populations
asiatiques vont devenir très attirantes pour les marchands européens...
Vision
orientale de l’Occident.
La Chine reconnaît trois civilisations : l’Occident (globalisé), l’Inde et l’Extrême-Orient. Elle reste très centrée sur elle-même ; hors de ses frontières, il y a les barbares. Les violentes incursions occidentales du XIXème siècle – la guerre de l’opium en premier lieu – surprennent un pays rongé par la corruption et la misère, une civilisation en pleine déliquescence.
C’est le Japon qui le premier va sortir de sa réserve, bientôt suivi de la Chine. Les orientaux viennent en Occident chercher les recettes de la force, de la puissance qu’ils viennent de subir. La démocratie naissante est globalisée, idéalisée : le peuple gouverne.
Autre fait frappant pour les orientaux, les perspectives historiques en plein développement avec les travaux de Darwin, Hegel, Marx ... Tout dans l’Histoire est rapporté à une référence, une origine, a donc un sens, une orientation, une trajectoire.
Les traités d’ ‘’Histoire Universelle’’ rédigés alors en Occident ne mentionnent jamais l’Extrême-Orient. Ceci surprend beaucoup les orientaux et les pousse à utiliser les catégorisations, les mots, les idées occidentales à la recherche d’une reconnaissance.
Pour simplifier, disons que l’oriental vient en Occident chercher la légitimité, l’efficacité et acquière la conviction d’une science universelle apte à dominer le monde.
La
guerre de 14-18 qui oppose les pays occidentaux surprend considérablement les
orientaux et va modifier leur perception de l’Occident et de ses
‘’richesses’’.
Les grandes
différences.
Pour les asiatiques, le monde n’a ni commencement ni fin. Il est le résultat d’une ‘’auto création spontanée’’, perspective d’un véritable mouvement perpétuel.
La Chine est obsédée par le changement et l’Occident la perçoit comme immobile ! Que l’on pense seulement à l’usage dévoyé du mot zen aujourd’hui...
Chaque
élément de tout incarne simultanément des situations provisoires. Le moi
chinois n’existe qu’à travers le regard qu’on pose sur l’individu
considéré. C’est la somme des relations qui le relie à ce qui l’entoure.
Tout est lié.
Pour l’occidental, le monde a un commencement et aura une fin. L’absolu - l’idéal, la référence - est placé dans un monde autre.
De la croyance en la création de chaque homme par un Dieu, la pensée occidentale a abouti à la notion de liberté, d’indépendance de l’individu.
Toute
action humaine est conduite relativement à des repères fixes comme justice,
amour, vérité..., valeurs de l’absolu. Tout est délié.
Essais de
compréhension mutuelle.
La philosophie occidentale a été découverte en Chine au XIXème siècle, à travers les conférences d’un philosophe allemand qui s’exprimait en anglais devant des japonais. La transcription japonaise fut ensuite traduite en chinois. On voit tout ce que cela a pu entraîner d’approximations, de confrontations compliquées.
Depuis, les philosophes modernes chinois tentent d’expliquer à l’Occident, dans un langage occidental, les apports de la Chine à la Pensée Universelle.
Mais
il a fallu attendre Bertrand Russel et son ouvrage ‘’Sagesse de
l’ouest’’ donc le milieu du XXème siècle pour que l’Occident ne
s’attribue plus cette Dernière.
L’Occident
de la fin du XIXème siècle a découvert la calligraphie, un art du pinceau très
différent de celui connu jusqu’ici à l’Ouest. Ceci a conduit à la vague
du japonisme, en fait une influence extrême-orientale globale, qui a servi plus
tard de fondement à l’art abstrait.
Bibliographie.
J.Needham - La science chinoise et l’Occident – Point Seuil
Etiemble – L’Europe chinoise 2 tomes – Gallimard
I.Kamenarovic – La Chine classique – Les Belles Lettres
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Les instruments de la pensée.
Il existe une parenté certaine entre la langue et le système de pensée d’une culture. En effet, peut-on penser sans mot ? Si l’on exclut les cas d’extase ou d’illumination, la réponse est bien évidemment non !
Ceci
est source de difficultés multiples du fait de l’interprétation ou de la
suggestion des mots. Ainsi, le verbe être. Dans « je suis en retard »,
nous sommes dans le concret mais lorsque Jésus dit « Je suis la Vérité. »,
nous sommes dans la transcendance. Nous avons pourtant toujours à faire au même
verbe être, qui est central dans la culture occidentale car tout y est pensé
relativement à lui.
Trilogies de la
pensée.
Trois
ensembles fondent les limites du domaine de la pensée occidentale.
La
langue d’abord. Les mots doivent être clairement définis.
La
pensée ensuite dont les concepts doivent être posés tels des outils
parfaitement définis.
La
société enfin, composées d’individus considérés comme des entités
distinguables.
Ces
trois ensembles s’insèrent dans un domaine unique depuis Platon qui a dit
qu’en tout il fallait chercher l’unicité.
Une
seconde trilogie est à prendre en compte dans le seul domaine de la langue :
syntaxe / grammaire / logique, la première ayant trait à
l’ordonnancement des mots, la seconde à leur usage correct, la troisième à
l’enchaînement logique des propositions.
La
signification du mot lui-même doit
être parfaitement définie et dans cet ordre d’idée, reproductible
- sens toujours identique pour l’utilisateur – et répétable –
sens identique pour deux interlocuteurs différents -.
Notre
langue est aussi une expression du temps à travers l’usage de la conjugaison
des verbes.
Notre
pensée s’exprime donc dans la temporalité et dans la logique - elle ne peut
être à la fois oui et non – et dans la pré définition des choses.
Et la Chine ?
Les
pensées de toutes les cultures fonctionnent sur ces trilogies, même si, par
exemple, la notion de temps ne transparaît pas dans la langue chinoise.
De
même, en chinois classique, un idéogramme – un caractère – n’a pas de
sens prédéfini, il s’interprète dans son contexte d’usage.
Ainsi,
la pensée chinoise ne se développe pas par concepts, mais par contextes. A
l’identique, la société donne son sens à l’individu, non l’inverse
comme chez nous.
Pour
la mentalité chinoise rien ne peut exister en dehors du Tout.
Pour
éclairer ceci, nous apportons volontiers ‘’notre pierre à l’édifice’’,
c’est à dire que nous avons une définition précise de notre action propre,
individuelle. Le chinois considérera plutôt le ciment entre les pierres de
l’édifice !
Ceci
ne signifie en aucun cas que l’individu est nié, écrasé par la société.
la place pour son épanouissement est ailleurs...
Difficultés de
traduction.
Comprendre l’autre impose de traduire sa pensée, c’est à dire ses mots, ses phrases. Une nouvelle difficulté surgit ici, celle de la signification réciproque de l’idée véhiculée par les mots dans chaque langue.
Donnons
quelques exemples de ceci.
Mot |
Perception occidentale |
Perception extrême-orientale |
Homme |
Depuis Aristote, animal rationnel. Avec Heidegger, berger de l’Être. Corps ( matière ) opposée à l’esprit.
|
L’idéogramme représente clairement un homme en mouvement. Toutefois, la notion d’Être n’existe pas en chinois et il n’y a pas de matière opposable à l’esprit !
|
Souffle |
Anima / psyché Evocation de l’essence, de l’absolu.
Quelque chose de délié |
Mot fondamental de la pensée chinoise. Il est symbolisé par le germe du riz et un nuage, donc du très concret. Les souffles sont partout, dans l’homme, dans un rocher ou dans un tableau. Tous ces souffles sont strictement les mêmes. Il n’y a pas de partage entre le vivant et le non vivant. Quelque chose de lié.
|
Tout ce qui existe |
Partage du vivant et de « l’inanimé ». Univers, Création issue d’une volonté divine. |
« les 10000 êtres » signifié à partir de la clé du bœuf.
Pas d’univers créé, pas de volonté créatrice. |
Pas de traduction qui ne nous envoie dans des directions opposées !!!
Notre volonté est de traduire un caractère par un mot, toujours le même – volonté de clarté ? - alors que l’approche chinoise donne la signification d’un caractère dans un contexte donné – ambiguïté naturelle ? -.
Le
passage d’un monde à l’autre, d’une culture à l’autre nécessite la
prise en compte de ces ‘’ornières’’.
Modes de pensée
& dimension morale.
Aucun
mode de pensée n’est universel. Chacun se développe dans un cadre préétabli
qui a ses codes issus de la culture avoisinante.
Il
existe une ‘’épaisseur ‘’ très importante entre la relation directe au
monde, relation somme toute idéale et les relations culturelles au monde.
Notre
rapport aux mots, aux concepts, aux choses, a une dimension morale. Notre
approche de la langue a donc aussi une dimension morale.
Platon a donné le premier une définition du Bien, le bien absolu source de la justice absolue.
Confucius quelques décennies plus tôt enseignait que le Bien dépendait des situations, des circonstances, partant de l’idée que c’est l’équilibre qui est absolu.
***
Langue & Morale.
Dans une première approche, l’occidental que nous sommes se dira qu’il n’y a aucun rapport entre langue et morale. En allant plus loin, nous comprenons que ceci est faux et que le rapport est certain.
Ce fait a été montré au troisième siècle avant notre ère en Grèce par Platon dans ‘’ De la rectitude des mots’’ et quasi simultanément en Chine par Xun Zi dans ‘’ De la rectification des noms’’.
Ainsi,
nos deux cultures se sont interrogées sur cette relation dès l’Antiquité.
Le parler &
l’écrit.
Le
nom est d’abord parlé ; longtemps avant d’être écrit. Dans la Bible,
Dieu se définit comme Logos , Verbe, mots parlés. Pour Platon et Xun Zi,
il n’y a pas de mot tant qu’il n’y a pas de convention.
Dans
la pensée occidentale, cette convention implique nécessairement la Raison,
quelque chose haut-dessus de la réalité matérielle. Pour Platon, le modèle
du langage est métaphysique, issu d’une réalité supérieure, idéale. Nous
utilisons des ‘’termes’’, ce qui signifie que les mots sont déterminés ;
le découpage des idées est fait avec le plus de précision possible afin de
mieux porter cette réalité supérieure et de supporter le raisonnement.
Il est apparu des sophistes en Grèce et en Chine pratiquement à la même époque.
Nous en avons gardé le sens de la perfection du raisonnement.
Pour
les chinois, le raisonnement pour lui-même est sans intérêt car trop éloigné
du but du langage qui est la tendance à l’harmonie. Le sophisme n’a donc
pas perduré en Extrême-Orient !
Dans la pensée extrême orientale, depuis Confucius, le premier acte fondateur de tout nouveau gouvernement est la rectification des noms, c’est-à-dire l’adéquation du sens du nom à ce qu’il est dans la réalité matérielle : « Un père est un père, un fils est un fils, un roi est un roi. ».
Ainsi
le père est celui qui tient effectivement le rôle du père. Le fils est celui
qui se comporte en fils, ce qui implique que le père se comporte en père.
Toujours l’interdépendance. Idem pour le roi.
Tenir
le rôle c’est être ce qui est attendu de la fonction considérée.
Ceci est compris jusqu’au mérite d’être. Le prince n’est pas le
fils du roi, mais celui qui a les qualités requises pour assumer cette
charge... Le modèle du langage est ici fondé sur la réalité concrète.
C’est à ce niveau qu’intervient la morale chinoise. Li
, la loi morale est la force qui contrôle le monde : cette loi morale
et la loi cosmique se fondent en un même principe qui est le grand axe de
l’univers. ( Tchou Hi 1130-1200
) .
La
morale est la manière de guider ses mœurs. Le monde est moral car il induit
des règles de comportement inhérentes au monde lui-même. Respecter ces règles
c’est être en harmonie. Le langage a une dimension morale qui s’inscrit
dans cette veine.
Ecriture
chinoise.
Notre
écriture est fondée sur l’association de lettres, sans signification propre,
en mots porteurs du langage.
L’écriture chinoise n’a pas été crée pour transcrire le parler mais pour traduire les craquelures divinatoires d’omoplates animales mises au feu. Cette traduction première était l’œuvre des devins. Le caractère suggère ensuite les mots utilisés pour expliquer un type de craquelures donné. Les pictogrammes sont donc l’expression de ce qui précède les hommes. Le caractère est porteur de ce qu’il exprime. Il est plus fort que l’image elle-même. Le caractère qui désigne le Bouddha est honoré autant qu’une de ses statues.
Oralement, « les mots utilisés n’atteignent pas les choses ». ( Il n’existe que 300 phonèmes en chinois ). Seuls les caractères y parviennent. ( Il existe une multitude de caractères ).
Le
caractère est le matériel et le spirituel de ce qu’il représente.
Cette
particularité de l’écriture chinoise est démontrée par la place que tient
la calligraphie dans cette culture.
Une place équivalente à la rhétorique dans la notre.
En
grec, calligraphie signifie ‘’belle écriture’’. Pour un chinois, la
calligraphie n’a pas à être belle mais doit laisser passer la respiration de
la vie. Comme nous l’avons dit précédemment, le mot n’atteint pas la réalité
de la chose. Le caractère réussi y parvient.
Il
faut ici distinguer bien sûr entre l’écriture
outil de transmission des informations basiques de la vie quotidienne et celle
à même de transmettre un sens.
Avec
beaucoup de prudence, nous pouvons évoquer ici une équivalence entre cette
dernière et la prière occidentale.
Cette transmission du sens se retrouve en peinture, en musique en dehors des formes décoratives ou ludiques de ces arts.
La calligraphie est une recherche de la quintessence ( mot aristotélicien ! ), c’est une approche de matérialité spirituelle et de spiritualité matérielle.
Il
est une tradition chinoise profondément enracinée : la copie des textes
anciens. Même des empereurs s’y sont astreints. Le choix du texte est déjà
en soit porteur de sens. Ensuite, la qualité de la calligraphie transmet au
lecteur le vécu, le compris du transcripteur, un message dans le message.
Pour le chinois, le caractère n’est compréhensible – ou interprétable – que dans un contexte donné, si bien que le même caractère peut, pour la même personne, avoir des significations opposées selon les circonstances d’usages.
Pour
illustrer ceci, citons Confucius. Devant trois de ses disciples, le maître
venait de terminer une explication. Le premier d’entre eux dit : «
Maître, je vais aussitôt mettre en pratique ! », Confucius lui répond :
« Non, seul ton père peut te guider, va le voir. ». L’étudiant part.
Le second dit : « Maître, je vais aller voir mon père car je
voudrais appliquer s’il y consent. ». Le maître lui répond :
« Pourquoi aller vers ton père ? Va, part, applique. ». Resté
seul, le troisième élève dit : « Maître, je ne comprends pas. A
la même question tu viens de faire deux réponses opposées. ». Confucius
de conclure : « C’est normal, ils n’ont pas le même caractère. ».
En
guise de conclusion…
L’occidental analyse. L’extrême-oriental synthétise.
***
Education
& formation de la personnalité.
En
Occident, depuis la Renaissance florentine avec Marsile Ficin et son « Connais-toi
toi-même » et Pic de la Mirandole et son « Discours sur la dignité
de l’homme », la notion d’individualité prend forme, l’homme
commence à se libérer de Dieu et à se placer au centre du système.
Ensuite, Descartes et son « Je pense donc je suis. » complété par
son « Moi c’est-à-dire mon âme. », consacre la séparation du
corps et de l’âme. La dualité est en place, le Moi s’impose et les
conflits avec lui. Ce sera l’aboutissement de tous les courants philosophiques
ultérieurs avant les grandes critiques de la psychanalyse.
En
Extrême-Orient le pronom personnel n’existe pas. En chinois, nous trouvons
l’expression chun qui signifie : la personne, emplir son cœur,
connaître le ciel.
Cinq
siècles avant notre ère, Confucius énonce que « l’honnête homme
cultive sa personne et par suite, sait respecter autrui ! » « Est-ce
tout ? » demande un disciple. « Il cultive sa personne et, par
suite, il donne aux autres la tranquillité ! » « Est-ce tout ? »
insiste le disciple. « Il cultive sa personne et donne la tranquillité au
peuple entier ! »
Plus
tard, dans un de ses textes, « Daxue » - ou la Grande Etude – Zi
Si un de ses disciples précise par la démonstration : « La
voie de la grande étude réside dans la mise en lumière du rayonnement de
l’intelligence et dans le fait de traiter les autres comme ses parents. Si
l’on sait où il convient de s’arrêter, on sera stable ; la stabilité
est la condition de la sérénité ; la sérénité permet la paix ;
dans la paix peut naître la réflexion, laquelle est nécessaire à la réussite.
Les
Anciens, lorsqu’ils voulaient partout sous le ciel faire régner la lumière
du rayonnement de l’intelligence, commençaient par mettre de l’ordre dans
leur pays. Pour mettre de l’ordre dans leur pays ils se souciaient de
l’harmonie de leur foyer. Pour assurer l’harmonie de leur foyer, ils commençaient
par s’amender eux-mêmes. Pour s’amender eux-mêmes, ils commençaient par
rectifier leur cœur. Pour rectifier leur cœur, ils commençaient par rendre
sincères leurs intentions. Pour rendre sincères leurs intentions, ils commençaient
par ajuster leur savoir. Or un savoir ajusté repose sur la relation à toutes
choses. C’est la relation à toutes choses qui permet au savoir d’atteindre
son but.
Lorsque
le savoir a atteint son but, les intentions sont sincères. Lorsque les
intentions sont sincères, le cœur est droit. Lorsqu’on a un cœur droit,
c’est que l’on s’est soi-même amendé. Lorsqu’on s’est amendé soi-même,
l’on peut se soucier de l’harmonie dans son foyer. Lorsqu’on a assuré
l’harmonie dans son foyer, l’on peut mettre de l’ordre dans son pays.
Lorsqu’on a mis son pays en ordre, l’on peut faire régner la paix partout
sous le ciel.
Depuis
le Fils du Ciel jusqu’à l’homme de la rue, il existe pour tous un fondement
unique : s’amender soi-même. Que le fondemen,t soit confus mais que les
fruits soient harmonieux, cela ne se peut. Celui qui, traitant légèrement les
choses profondes, serait capable de traiter profondément les choses légères,
on ne l’a point encore vu. »
La
vertu de l’homme supérieur, qui est un principe d’ordre, s’étend de
proche en proche, de la personne à tout l’univers, à la simple condition
qu’il en prenne conscience.
Il
faut donc mettre en place sa destinée en cultivant les deux grandes vertus :
humanité et équité.
Ici
pas de place pour le Moi. Pour être en relation avec la vie et la nature, il ne
faut ni conflit ni opposition. Conflit et provocation sont signes d’échec.
Beaucoup
plus tard, au XIIIème siècle, Chao Yong reprenant cette réflexion
confucianiste en la teintant de taoïsme et de bouddhisme, tire cette conclusion
idéaliste : tout ce que produit le Tao – la Voie – est mon œuvre, ce
qui s’exprime plus clairement dans son œuvre ‘‘le pêcheur et le bûcheron’’
où le moi est considéré comme un objet, et « comme tous les objets sont
création de ma pensée, ils ne se distinguent pas de moi-même. ». Pour
Choa Yong, puisque le monde extérieur et moi-même se confondent, j’ai donc
pouvoir sur l’univers, sur les esprits et sur tous les êtres.
L’homme
doit se rappeler qu’en son absence, la réalité de la vie serait la même.
***
Liberté
& ordre du monde.
Angoisse
ou inquiétude.
Nous
avons déjà évoqué la prééminence du Moi en Occident, condition
indispensable à l’épanouissement de la personnalité.
Ceci
est fondé à l’origine sur le juridisme que l’on trouve exprimé dans droit
romain. Il faut protéger l’individu, notion nouvelle alors. Tous sont originaux.
Ceci a conduit à la notion de liberté de la personne. Le Moi est sujet, la
Nature est objet. la liberté est donc une particularité de l’homme dans
l’ordre de la Nature. Pour accomplir notre liberté, nous utilisons notre
raison, notre logique. Il nous faut trancher, scinder, dissocier.
Pour
Epictète, la liberté implique l’opposition. Pour le monde chrétien, la
liberté est telle que l’homme en abuse !
Ici,
le couple liberté/nécessité se présente comme une aporie, une contradiction
insurmontable, sans issue.
Cette
réflexion poursuivie aux XVIIème et XVIIIème siècles a abouti aux Révolutions,
c’est à dire à la nécessité de casser un système clos qui empêchait le
passage d’un individu d’une classe à l’autre de la société. Sans liberté,
il y a étouffement. De ces convulsions sont sortis les ‘’Droits de l’Homme’’
Dans
ce contexte, tout rituel est vécu comme une contrainte imposée de l’extérieur.
Le respect de la forme est considéré comme du formalisme, du conformisme.
Au
juridisme, l’Extrême-Orient a préféré le ritualisme, fondé sur le
communautarisme d’individus originels. Là, le rite est l’ordre du
monde. Les règles en sont déduites de l’observation de la Nature telle
qu’elle est perçue en orient : il y a les plaines, les rivières, les
montagnes et au-dessus de tout cela, un seul et même ciel. L’ordre du monde
est donc dans un seul chef, les membres de la société lui obéissant
naturellement. La notion de liberté individuelle n’a donc pas cours. En conséquence,
le mot n’existe pas.
On
trouve dans les ‘’Entretiens’’ de Confucius quelque chose que l’on
peut rapprocher du concept de liberté : « A 70 ans, je peux enfin
suivre les désirs de mon cœur sans excès. » idée dont la signification
est : inutile de pousser au-delà de la conformité à l’ordre de la
Nature, ce serait peine perdue.
On
peut évoquer ici le terme de spontanéité qui existe en chinois : c’est
ce qui est comme çà. C’est ce que cherche le taoïste dans le Tao. Pour
atteindre la vérité du monde et n’être plus qu’un battement de la
Nature, il ‘’sort du monde’’.
Il
faut être simple, marcher vers l’amitié, tendre à la résonance.
Ici,
le couple nature/spontanéité n’est pas une aporie.
Il
n’est pas nécessaire d’envisager une révolution – avant les contacts répétés
avec l’Occident ! – car ce qui est clos préexiste à l’homme et que
la société permet par son organisation la navigation d’une classe à
l’autre selon ses compétences (les examens : 30 à 35% des mandarins étaient
d’origine modeste – en comparaison, il en a 8% à l’ENA aujourd’hui !
). L’épanouissement de la personne n’implique pas notre liberté mais
observation du monde, observance des règles, de la forme. Ceci doit être
compris comme : voir comment cela fonctionne afin de pouvoir atteindre son
but. Nous sommes loin de notre perception, celle de d’abdication de son libre
arbitre. Nous sommes loin d’un besoin de ‘’Droit de l’Homme’’,
notion peu compréhensible en Extrême-Orient !
Lors
des contacts entre les deux cultures au XIXème siècle, il a fallu tenter la
traduction de liberté. Spontanéité n’a pas été retenu. Autonome a été
forgé à partir d’indépendance : ‘’ce qui est soi-même ‘’ ,
terme licencieux pour la langue classique. A titre de comparaison, imaginons que
dans nos écrits, le mot démocratie soit remplacé par anarchie...
Pour
un philosophe chinois contemporain, l’occidental est angoissé car il vit en
permanence dans l’opposition du corps et de l’esprit, de la liberté et de
la nécessité, du Bien et du Mal. Il ne peut imaginer devenir un jour le Christ
car le modèle est trop loin, trop idéal.
Selon
le même penseur, l’oriental est inquiet, inquiétude de ne pas réussir sa
‘’destinée’’, de ne pas réussir là où sont ses capacités. S’il
est bouddhiste, il peut imaginer devenir Bouddha. S’il est confucianiste il
peut imaginer d’assurer convenablement sa transmission.
Nous
retrouvons cette opposition angoisse/inquiétude dans l’art.
L’art
occidental tente d’extraire l’homme vers un ailleurs sans opposition, sans
angoisse. L’art oriental ramène à l’essentiel du monde.
Au
théâtre, la tragédie n’existe pas en Extrême-Orient. Seuls des drames sont
proposés.
La
tragédie occidentale est la coexistence d’impossible. Il y a horizontalité.
Chimène amoureuse de l’assassin de son père est un conflit moral. Une telle
chose est inimaginable en Chine où ce type de situation ne peut exister. La hiérarchie
des valeurs, la verticalité, l’empêche. Si une telle situation se présentait,
le suicide serait LA solution naturelle, toujours bien perçue.
***
La relation au Temps.
Comme avec le précédent thème sur la liberté, nous sommes ici dans l’un des domaines de la relation homme / ordre du monde.
Occident | Extrême-Orient |
L’image
du Temps est très importante. Selon
notre substrat culturel, le fait humain est une culmination. Nous
éprouvons la temporalité dans notre corps, nous
transposons ce modèle au monde. La notion de Temps est liée au Moi et à l’Histoire. |
Le
mot Temps n’existe pas en chinois ! L’existence
n’est qu’un épisode, donc nullement un schéma central. Le Temps n’explique pas le monde
|
Historiens
depuis la Grèce antique ~Vème siècle ( Hérodote, Thucydide)
|
Historiens
depuis le ~VIIIème siècle (recueils d’annales datées : Chou king, Tch’ouen-ts’ieou, Tso tchouan…) |
Pas de sens donné à ces relations d’évènements, à ces constats de forces en jeux à un moment donné. | |
Il
faut attendre le XIXème siècle avec Hegel et Auguste Comte pour voir
apparaître l’interprétation des évènements d’où vont sortir sens
et signification. C’est
la conception judéo-chrétienne du temps – la Création à une origine
et aura une fin... – qui a permis cet aboutissement. Le premier traité sur le Temps : ‘’La Cité de Dieu’’, est dû à Saint-Augustin : « le temps est une propriété de l’univers que Dieu a créé. Le temps n’existait pas avant ! » |
Le
monde n’a ni début ni fin. Il est. « Le vent pousse les nuages et les fait changer de forme. Le vent s’arrête, les nuages disparaissent. Le vent reviendra, les nuages aussi. ».
|
Qui
dit Temps dit Passé - évènements révolus qui n’ont plus cours -. Le
Passé n’est pas un modèle, s’y référer c’est preuve de
‘’passéisme’’. C’est le jugement courant de l’Occident sur l’Extrême –Orient. |
En Chine, le Passé est Présent, car nous sommes dans l’intemporalité, dans l’alternance d’aspects (Yin~Yang) |
Les
textes chrétiens sont, dans notre civilisation, réputés ‘’éclats d’éternité’’, donc toujours
actuels. C’est
ainsi que l’on a pu aboutir au progressisme : nous avançons vers
le Mieux de façon à ce que le Passé soit révolu. Phénomène
de la marche en avant, nous marchons dans une direction et une seule. Nous sommes dans le monde de la Succession. |
Les
textes chinois classiques sont relus car ils donnent des solutions pour le
Présent. Le
monde a pour moteur une oscillation. Phénomène
du pendule. Nous sommes dans le monde de l’alternance. |
En
1992 l’astrophysique distingue le temps psychologique, le temps
thermodynamique, le temps cosmique. Ces trois temps sont irréversibles.
Un quatrième temps doit être pris en compte : le temps physique. Au
niveau microscopique, particulaire, ce temps est réversible !!!
C’est
dans le domaine des sciences avancées que la pensée occidentale est la
plus proche de la pensée extrême-orientale. L’évidence du Temps apparaît donc comme culturelle. Une exception dans le monde judéo-chrétien, William Faulkner pour qui « le Passé n’est pas mort, il n’est même pas passé. ». |
|
Nous
subissons la tyrannie du Temps. Tous nos objectifs sont fixés relativement au temps. |
Grande répugnance à prendre un engagement pour un terme donné. |
Heidegger
a écrit ‘’ Être et Temps’’ Cette notion est intraduisible en Occident. |
Ce
titre est intraduisible en chinois car ces deux termes n’existent pas. La pensée extrême-orientale évolue dans le ‘’Yin & Yang’’. |
***
Entrer
en conflit et/ou progresser ?
Place de
l’homme.
Lorsque
nous parlons du Fils de l’Homme, nous savons, par éducation, culture,
que nous évoquons Dieu. Inconsciemment,
ceci nous place aussi, comme homme, au-dessus des autres êtres de la Création.
|
Lorsqu’un
chinois parle du Fils du Ciel, même si ce nom possède une connotation déiste,
il sait qu’il parle d’un homme, l’empereur, qui est vénéré à
l’égal d’un dieu s’il remplit correctement la mission qui lui est
assignée. Dans le cas contraire, il est destituable. Au
Japon par contre, l’empereur est et reste un dieu. |
L’idée
occidentale de la divinité est parfaitement résumée dans l’épître
de Jacques I-17 : « tout beau don, toute donation parfaite,
vient d’en haut, descend du Père des lumières chez qui n’est ni
changement ni ombre de variation. » La
place de l’homme dans la Création vient ensuite en I-18 : « Sciemment
il nous a engendrés d’une parole de vérité pour que nous soyons prémices
de ses créatures» |
La perception extrême-orientale de la divinité se trouve dès le ~Vème siècle dans le Tch’ouen-ts’ieou, littéralement ‘’les Printemps et les Automnes’’, premier recueil d’annales chinois, dont la rédaction est attribuée à Confucius. L’idée est la suivante : « celui qui comprend comment le bien peut finir mal et le mal finir bien, celui-ci est proche du céleste. » |
Statut de
l’homme.
En
Occident, ceci est fixé dans divers textes, depuis la Genèse jusqu’à
Heidegger. Genèse
I-28 : « Fructifiez et multipliez-vous, remplissez la
terre et soumettez là, ayez autorité... sur tout vivant qui remue sur
terre. » En
1967 Paul VI a précisé ceci dans son encyclique Populorum progressio : « la
Création entière est pour l’homme et par son travail il doit la
parachever et la mettre à son service. » Le
catéchisme de l’église catholique de 1992 confirme :« Aux
hommes, Dieu accorde...la responsabilité de ‘’soumettre’’ la
terre et de la dominer. » Enfin,
pour Heidegger, l’homme n’est vraiment homme non en s’assurant par
la connaissance et l’action la domination du monde mais en sauvant de
l’oubli la question de l’être,
en se faisant « le berger – le garant - de l’Être », afin
d’accomplir « la relation de l’être à l’essence de
l’homme. ». En
clair, dans ces diverses approches, l’Homme
est d’une essence supérieure à la Nature.
|
En
Extrême-Orient, on ne trouve pas de texte sur le sujet : « Qu’est-ce
que l’homme ? », mais des textes montrant que l’homme est
simple partie d’un Tout ‘’Ciel, Terre, Homme ‘’. Xun
Zi, confucéen, décrit la chose de la façon suivante : « La
marche du ciel est pérenne. Le ciel est faste si l’homme respecte
l’ordre du monde. » Chacune
des trois parties du Tout a son rôle : « le ciel a ses
saisons, la terre a ses richesses, l’homme a ses pensées. » Le
but de ces pensées est de mieux habiter le monde, pas de le comprendre ou
de le maîtriser. L’homme doit s’enraciner, il n’est pas là pour
prendre ses distances.
|
Rôle de
l’homme.
En
Occident, le rôle de l’homme est d’agir. Cette
action est une opposition à son environnement, nature et congénères.
|
En
Chine le rôle de l’homme est le non-agir que l’on doit comprendre
comme le non-s’agiter. Cette passivité n’est pas en effet le
rester-sans-rien-faire, une sorte de laisser tomber. C’est au contraire
un ‘’voir comment çà tombe’’ |
Aucune
des législations occidentales ne définit l’homme, mais tout ce qu’on
peut lui faire pour le gêner, l’empêcher... |
Le
non-agir, c’est prendre exemple sur le Ciel. Le
ciel n’agit pas mais la pluie existe ! |
Dès
l’origine de la pensée grecque, Héraclite dit que : « le
nom du dieu suprême est le Combat qui désigne ceux qui sont dieux et
ceux qui sont hommes. » Ainsi,
l’homme lui aussi, « se pose en s’opposant. » Le
conflit est le moteur de l’affirmation de soi. Le
conflit nous est naturel. Laisser une situation aller signifie pour nous
pourrissement, la ruse est une fuite, un refus, d’où notre vision du
chinois fourbe. Le
rusé Ulysse n’a-t-il pas payé de dix ans d’errance la réussite du
cheval de Troie ?
|
Le
chinois nous considère agressifs. Pour
le chinois, le conflit est un échec, une défaite, un but non-atteint.
La
ruse est donc un élément très utile, une recherche de l’efficacité
optimale dans des circonstances données, éventuellement une économie de
moyens et de vies humaines. Dans
les manuels classiques de stratégie chinois, les propositions vont
jusqu’à l’insoumission au chef !!! |
Progresser.
Le
progrès est une succession de victoires sur l’environnement, un
accroissement de l’assujettissement de la nature, sur ce qui n’est pas
homme. Chaque résolution de
conflit nous conduit à un état supérieur. Ainsi,
le droit du travail en France qui des seize heures par jour à partir de
huit ans aux trente cinq heures n’est que le résultat d’une suite de
conflits. |
L’extrême-oriental
progresse par l’extension de toutes ses capacités en suivant les
oscillations des circonstances. |
***
Les
modes d’opposition.
En
Occident, la controverse est alimentée par l’art de la rhétorique,
l’art de l’argumentation logique. |
En
Chine, les sophistes n’ont existé que pendant une très brève période.
Par contre, l’art de la citation et de l’allusion s’est développé
pour soutenir le débat et la mise en cause éventuelle de l’autorité. |
Citations et
Allusions.
Utiliser
ces outils dans le débat implique en premier lieu que tous connaissent les
textes classiques – souvent courts et abstraits - et ce qui les entourent,
c’est-à-dire les commentaires.
L’apprentissage
de la lecture et de l’écriture – par recopiage - se faisaient à partir de
ces textes, malgré l’invention de l’imprimerie en Chine au VIII ème siècle
seulement ( mais toujours bien avant l’occident ! ). Cette véritable
connivence culturelle vient de l’idéal prôné par Confucius : la
conjonction Savoir/Pouvoir.
Bien
sûr, tous les empereurs ne furent pas des savants mais surent à leur tour
s’entourer de lettrés, tel le brigand Lieou Pang, fils de paysans, ancien
soldat, fondateur de la dynastie des Han.
L’idéal
Savoir=Pouvoir s’est trouvé concrétisé par les examens de sélection de
l’élite intellectuelle, quelle que soit l’origine sociale, dès les Han justement,
durant le ~II ème siècle. L’empereur en personne décernait les diplômes.
La
pratique de l’allusion rencontre donc naturellement un terrain propice,
d’autant que les commentaires y font une large place.
L’opposition
par la poésie.
Dans
toutes les cultures, la poésie suit de près l’apparition des annales et des
règlements écrits.
En
Chine, le premier texte poétique connu, un recueil de contes populaires, le
livre des Odes, date du ~IX ème siècle.
Ces
poèmes reçoivent toujours un double niveau de lecture. Ainsi, un texte sur la
huppe et les soins qu’elle donne à ses petits,
est à comprendre aussi comme les vertus que doit développer un
fonctionnaire !
Confucius,
le re découvreur de ce Livre des Odes au ~V ème siècle, définit quatre
apports dus aux poèmes :
.
stimulation : il soulève
l’esprit, l’éveille à l’art de la métaphore.
.
observation : il pousse à la découverte
du sens immédiat et du sens caché. Il faut rechercher les associations.
.
communion : il favorise l’instinct
social, tous les poissons sont dans la nasse…, tous les produits sont de
saison… qui sont à lire comme la nécessité d’être en phase avec les
circonstances et avec la nature.
.
protestation : il permet de faire
comprendre que la situation est déséquilibrée, dans la capitale il n’y a
plus un homme… signifie ainsi que le pouvoir est mal entouré.
Il
nous faut imaginer le mode de la fable de La Fontaine étendu à toutes les
oppositions.
L’opposition
par la rectification des noms.
C’est
nous l’avons déjà vu, l’adéquation de la signification du mot à la
situation. Je n’ai pas soutenu un régicide, j’ai aidé à débarrasser
le trône d’un brigand. Ceci est de Tsao Tsao, dictateur d’un des
‘’Trois Royaumes’’, celui de Wei, au
II ème siècle, poète et stratège.
Dans un de ses textes, il fait également l’apologie des grands hommes du passé.
C’est un vrai discours politique car l’auteur s’inclut par sous entendu
dans cette lignée ! Ses deux fils Tsao Pei et Tsao Tche furent aussi de
grands poètes. Le premier, Tsao Pei, proclama la déchéance de la dynastie
Han, destitua l’empereur Hien ti et s’arroga la dignité impériale comme
fondateur de la dynastie Wei. C’est aussi le premier auteur d’une réflexion
sur l’écriture.
Le
personnage de Tsao Tsao a servi en 1959 à une controverse au centre de laquelle
se trouvait Mao Tsé Toung, controverse conduite par son ministre de la culture
sous la forme : « Tsao Tsao avait-il favorisé les riches,
avait-il conduit des guerres colonialistes… »
Pour
atteindre, il ne faut pas asséner !
L’opposition
par critique indirecte.
C’est
le cas du Tchouen Tsieou, le Printemps et les Automnes, dont une interprétation
tardive au XIX ème siècle servit à lancer une opposition à la dynastie
mandchoue en vue d’une renaissance nationale.
L’opposition
par la démission pour cause de maladie.
Dès
le ~III ème siècle on trouve ce mode d’opposition Si le sage estime que
çà ne marche pas et qu’il ne peut influer sur la situation, il se retire
dans l’ombre.
L’opposition
par attaque juste à côté.
Si
le prince héritier ne peut être attaqué de front, son précepteur lui ...
L’opposition
par adresse au trône.
L’impératrice
Tseu Hi avait relégué son fils. Kang You Wei adressa à celui des adresses
dans lesquelles il fait référence au passé, cite d’anciennes adresses au trône
suivies ou non d’effet etc…
L’opposition
par la remontrance.
Celle-ci
peut prendre deux formes :
.
l’adresse déjà citée lorsqu’on
vise un personnage de niveau décisionnaire.
.
le veto, rôle du censeur officiel –
poste à haut risque ! – qui peut retourner toujours scellé un document
que lui a envoyé le prince
.
la remontée de la désapprobation, des
plaintes écrites des couches inférieures, le système de traçabilité du
courrier étant régi par la loi.
Pour
conclure,
En
Chine, présence ou absence sont porteuses de sens !
***
L’absolu
& le relatif
L’absolu
est théorisé dans les écrits philosophiques et religieux occidentaux, Le
relatif l’est dans les écrits chinois.
L’écrit
chinois comparable aux Ecritures est le Yi King.
Yi
s’écrit avec les deux idéogrammes du soleil et de la pluie,
king
peut se traduire par ouvrage. C’est le ‘’livre des mutations’’ qui a
la réputation d’un manuel de divination car il est consulté pour trouver des
indications relatives à sa propre vie. Il est revendiqué par les confucéens
et les taoïstes.
Il
est fondé sur les articulations entre diverses situations et l’évolution de
ces situations, figurées par des combinaisons de trigrammes dont les deux éléments
constitutifs sont le yin et le yang.
Yin
Yang
Les
trigrammes qui s’écrivent de bas en haut car ‘’tout pousse’’, sont
regroupés par six. Les hexagrammes ainsi obtenus sont la base de soixante
quatre combinaisons.
Chacune
de ces soixante quatre figures équivaut à une situation de passage, non tranchée
comme d’habitude en Chine ; c’est un entrecroisement de yin et de yang,
un état non clos.
Pour
bien comprendre ceci, il faut se référer au lettré Wan Tchi qui, au V ème siècle
écrivait : « Le Yang est ce qui deviendra Yin. Le Yin est ce
qui deviendra Yang. »
Il
faut noter que le mathématicien et philosophe allemand Leibniz, contemporain de
Spinoza et de Newton, inventeur du calcul différentiel, est arrivé au même
nombre de combinaisons en tentant de comprendre le ‘’caractéristique
universelle’’ des idées humaines simples
et de leurs relations par la logique d’un système de notation et de règles.
Les
Jugements.
Dans
cette approche, nous allons distinguer plusieurs types de jugements et montrer
de qui les différencie en Chine et en Occident.
Le
judiciaire.
En
Chine, le magistrat règle les problèmes, en Occident, il rend la justice, il
dit le droit.
En
Extrême Orient, le droit n’existe pas, il n’y a donc pas d’avocat. Le
juge est donc celui à qui on expose ses insuffisances en espérant que
l’autre partie en aura de plus graves. La notion de circonstance atténuante
existe mais l’étalon du jugement reste l’équilibre du monde, de la
communauté, d’une situation, dans ce système sociétal perméable ( passage
d’une classe à l’autre, dans les deux sens selon le savoir ). La seule
constante est le changement permanent.
La
moralité.
En
Occident, nous avons le Bien, le Mal, la Liberté, valeurs supérieures à la
lumière desquelles nous comparons notre monde.
En
Chine, ce qui est naturel, c’est à dire ce qui évolue dans le sens de la
Nature, est spontané, ce qui signifie que çà ne heurte pas l’ordre du
monde. Il est possible de s’opposer à cet ordre, mais il reviendra toujours
à sa position d’équilibre. C’est dans ce champ qu’il faut comprendre le
Bien – shan, clé du mouton, relation au sacrifice antique… - et le Mal –
ê (heu) clé du cœur, sans oublié le Ciel – tian – monde incréé ( au
sens de l’intervention du divin), auto création spontanée.
Les
actes se pèsent donc selon des paires : utile/inutile ;
efficace/inefficace ; favorise les règles du monde/est nuisible aux règles
du monde, et non selon les critères absolus de Bien et de Mal.
Nous
revenons ici à la notion déjà évoquée d’observation du monde pour ensuite
satisfaire à l’observance – se conformer, clé de l’eau : suivre le
courant… -.
Ceci
se distingue singulièrement du bouddhisme, même chinois, cette philosophie étant
arrivée en Chine après la constitution du mode de pensée chinois, porteuse de
notion de Bien et de Mal voisines des idées du christianisme en ce domaine.
L’esthétique.
En
Occident ‘’c’est beau’’. Du Beau on passe au Bon, l’homme s’élève.
En
Chine, on trouve simplement l’idée de ‘’c’est agréable à
regarder’’, sans raccordement au bon, à l’élévation.
Au
départ, l’artiste est ‘’quelqu’un de capable’’. Au sommet de son
art, on le dira ‘’spontané’’.
Monde/œil/cerveau/bras/poignet/pinceau
---» œuvre. Ceci est considéré dans sa globalité, comme une relation
d’ensemble avec le monde.
Pour
nous, le terme fade appliqué à quelqu’un, à une œuvre est péjoratif. En
Chine, le sage est fade, comble de la transparence, le plus ténu du non agir.
‘’Je’’ n’intervient plus, ‘’Je’’ laisse passer tout sauf ses
propres goûts. C’est dans et esprit qu’au I er siècle, Tao Men Ming écrit
« la musique est dans le silence. ».
Esthétique
chinoise recherche l’originel alors que l’esthétique occidentale vise à
l’original.
***
La
question de l’unité.
Pour
rendre ‘’visible’’ et comprendre la question de l’unité, de l’Un,
le langage est trop faible, inefficace.
Nous
occidentaux, sommes très attentifs à la recherche de l’unité en nous. Nous
essayons par des mots d’isoler l’idée de cette réflexion.
L’unité
comme direction, c’est Moi, cette direction est Moi. Il n’existe rien
en dehors de mon regard. Nous
sommes dans l’illusion. |
En
Extrême-Orient, c’est l’évidence de la Communauté qui prédomine. |
L’unité
comme voie, c’est la recherche de Dieu, ou d’une autre religion afin
de favoriser l’émergence du Moi, de la transcender. |
Penser
et agir doivent être un. Tous les aspects de l’existence concrète sont
impliqués. La
spontanéité conduit à l’unité du Tout. Si les dieux existent, ce
sont les montagnes, les rivières… certainement pas les gurus. |
Nous
cherchons ‘’par la tête’’. |
Le
chinois cherche ‘’par les pieds’’. |
Nous
créons un monde dual, avec le monde physique et le monde transcendant,
inaccessible. |
Le
monde oriental échappe au conflit, à la contradiction, par la vigilance
à soi-même. |
***
Concorde
& Discorde.
L’occidental
a conscience de la dualité avec une relation étroite au Bien. |
Le chinois a
conscience de l’unité. Il est
toujours à la recherche d’une concorde, en fait une discorde jamais
totalement accomplie. |
Avant
d’agir, donc de faire un choix, Je dois comprendre ou connaître. Cette
connaissance ne peut pas être dirigée vers ce que l’on doit
entreprendre. La
psychologie occidentale évoque toujours une déchirure des origines, sans
oublier l’arrachement que constitue la naissance. La religion
expulse l’homme du Paradis. Nous nous sentons exilés par rapport à
notre source. Nous sommes
victimes du combat des origines, combat intérieur entre nos deux natures,
animale et spirituelle ; combat de l’être, néant à l’égard de
tout et tout à l’égard du
néant (Pascal); combat de l’homme pour la connaissance démenti au
fur et à mesure par les réalités de la vie, constat amère de
l’impossible. (Lucrèce) Notre origine
nous précède de très loin et ce sont des drames et des déchirures
successifs qui nous ont permis de venir au monde.
|
Il prend la
connaissance comme centre et cette connaissance n’est autre que la vie. La faculté
de comprendre repose sur une communauté essentielle et la reconnaissance
du monde. Se reconnaître
en eux c’est être là. L’origine
est toujours proche car le monde est en auto création permanente. Il convient d’ouvrir les yeux pour voir ce qu’il y a à voir et laisser se passer ce qui nous relie au monde. |
Chaque fois que je prends parti, je définis ce qui est bien. Nos actions
se définissent donc selon une échelle de valeurs qui est la place occupée
par la connaissance du sujet et de l’objet, compréhension de ce que je
suis. Avec les
mots, Je dois aller à la construction la plus parfaite possible, qui va
le plus loin possible grâce à la perfection de cette échelle que j’ai
faite mienne. |
Pour le
chinois, il faut dépasser les mots, car ils sont insuffisants, la
rencontre avec les choses se télescope avec le langage. Il est donc
indispensable de s’affranchir du langage. Il n’y a
pas de Révolution en Chine contrairement à ce que nous en exprimons. Il n’y a
pas de retournement ni de changement complets de l’échelle des valeurs,
pas de remise en cause de l’ordre des choses. Il y a rébellion
car le critère reste l’ordre. « L’ordre cosmique est moral,
l’ordre moral est cosmique. », on ne craint donc pas de contester
l’autorité si celle-ci a tort. |
Conclusion.
‘’La
Chine est contagieuse’’.
Chacun
se façonne son image de la Chine à partir de ses propres centres d’intérêts.
Bien entendu, cette image est très éloignée de la réalité.
La
Chine contemporaine – tout comme le Japon d’ailleurs - , depuis la fin du
XIX ème siècle, cherche à se situer comme l’Extrême-Orient de l’Occident,
c’est-à-dire à s’inscrire dans une marche de l’Histoire telle que créée,
pensée, par les philosophes européens. Cette recherche est difficile car
jusque là, la Chine était l’Empire du Milieu ! et le Japon très proche
de ce centre, géographiquement et culturellement. Cette ‘’extrêmisation’’
est vécu au départ comme une relégation.
Pour
aboutir dans cette démarche, ces pays ont du se définir, se dénommer, nommer
leurs populations. Cette nationalisation a finalement suivi de peu celles menées
en Occident à partir du début du XIX ème siècle.
Les
difficultés de rapprochement sont multiples.
En
philosophie, par exemple, les occidentaux construisent des systèmes de pensée
logiques et cohérents ‘’pour le plaisir’’. Pour l’extrême-oriental,
un système de pensée doit servir à quelque chose de pratique !
En
art encore, que l’occident considère comme un domaine réservé
d’expression, en dehors de la réalité alors qu’en Extrême-Orient, c’est
un domaine implanté dans l’action, particulièrement politique, l’artiste
étant par ailleurs administrateur !!
Cette
dualité se retrouve dans tous les domaines conceptuels !!!
Dès
lors, il est difficile de trouver un ‘’lieu pour le dialogue’’, lieu étant
à prendre ici au sens d’un lieu géométrique, d’un référentiel
acceptable par tous. Pourquoi pas l’Homme ?
« Les
hommes naissent et vivent libres et égaux en droit… », cette théorie
occidentale s’oppose à « les arbres de la forêt n’élisent pas celui
d’entre eux qui est le plus haut ! »….
Reste
à espérer dans des zones de dialogue.
Ainsi,
le doute, partie intégrante de la pensée scientifique occidentale est très
proche de la pensée asiatique.
Une
question, souvent, vient à l’esprit d’un occidental. Pourquoi avec ce fond
culturel les chinois ont-ils adopté le marxisme ?
Il
faut se souvenir que la Chine était en grand déclin, le pays était livré aux
seigneurs de la guerre dont les bandes armées se distinguaient par leurs
exactions.
De
son côté, le parti communiste chinois mis sur pied une armée qui fonctionnait
sous une discipline de fer - tout manquement entraînait la mort - .Les soldats
étaient donc exemplaires. Lorsqu’ils étaient dans le campagnes, ils aidaient
les populations, payaient ce qu’ils prélevaient pour vivre, alphabétisaient,
soignaient. Le peuple adhéra donc facilement à l’idéologie.
Une
seconde question vient ensuite : pourquoi le communisme s’est-il maintenu
malgré ses erreurs à répétition ?
Là
le fond culturel reprend le dessus, « un corps n’a qu’une tête ».
Il y en avait une et finalement le système fonctionnait. Il n’y eut pas de réelle
mise en cause de la légitimité de Mao Tsé Toung et de ses successeurs qui
s’appuient actuellement sur le contre exemple du passage de l’URSS à la
Russie et le fait que cette dernière envoie des trains de prostituées en
Chine. Il est alors facile de dire au peuple : « Vous voulez
çà ? ».
Que
dire des erreurs actuelles ?
depuis
le XIX ème siècle, la Chine n’a pris que des gifles de la part de
l’Occident. ceci est perdre la face, ce qui n’est pas acceptable. Pour
compenser, il faut faire de la surenchère, c’est-à-dire mettre sur pied des
projets démesurés, voués à l’échec, tel le barrage des Trois Gorges, qui
reste dans la ligne des obsessions permanentes des dirigeants chinois, empereurs
ou présidents : l’eau et la réforme agraire – la terre dans les
textes appartient à l’Etat qui la redistribue… - afin de limiter au mieux
les révoltes paysannes, corporation qui est pratiquement la seule à payer
l’impôt !
Que
conclure ? Que la barrière des mots empêche la convergence.
Pour
finir, cette citation d’Emmanuel Levinas, donnée par une auditrice lors de la
traditionnelle séance de questions : « Le mot est un oiseau aux
ailes repliées. »
...
Comment
l’aider à les déplier ?
***